dimanche 21 février 2021

Que mes mots rient...

Durant ces presque dix dernières années de silence, la plasticité neuronale aidant, mon cerveau a malheureusement perdu l'habitude de l'exercice d'écriture d'un efficace billet, dans un français confortable ou du moins intelligible. Une triste nouvelle m’impose cet effort.

De mon vivant, de nombreuses évolutions technologiques ont tari presque aussi rapidement qu'elles avaient fait apparaître des puits de savoir et d'échanges qu'ont été les prolifiques blogs des années 200x. Ils ont été remplacés par l'immédiateté du micro-blogging, et peut-être même que nous nous trouverions désormais à l'aube d’une transformation audiovisuelle alors que des "streamers", des "YouTubeurs" et bientôt de jeunes comédiens, danseurs et autres artistes sur TikTok fabriqueraient l'opinion dominante en ligne, ignorant tout des codes du passé, à l'instar de leur prédécesseurs qui avaient bouleversé les leurs, dans un inévitable bégaiement de l'Histoire de la communication de ceux qui n'ont pas été choisis.

Avant de parler de ceux qui n’ont pas été choisis, je devrais sans doute définir comment ont été choisis ceux qui s'exprimaient et qui avaient le bonheur d'être lus: ceux dont les CV étaient arrivés sur des bureaux parisiens après que leur propriétaires avaient eu l'opportunité de bonnes études , de correspondre au moule qu’un biais d'affinité autoriserait le recrutement le moment venu. Certes, tous ne réussissent pas leurs études, certains, et surtout certaines, auront avant, fait face aux difficultés d’un sexisme étudiant exacerbé, dont l'époque moderne se débarrassera, je l'espère, le plus rapidement possible. Ca, c'était le monde d’avant, où, ne nous mentons pas, être fils d'ingénieur, d’entrepreneur, d’enseignant (liste non exhaustive), facilitait énormément l'ascension sociale, jusqu’au niveau où sa parole publique pouvait être entendue, répétée, publiée.

Un paradoxe m’a fasciné très tôt: certaines fonctions comportaient tous les éléments autorisant une parole publique mais ne voyaient que très peu d'écrits sur les détails de leur exercice, et souvent dans une forme désincarnée de livre de mémoires ou d’autobiographie qui, par nature, arriveraient trop tard pour peser efficacement dans un nécessaire débat public. Ainsi, nous ne connaissions que très peu les détails de la fabrique de la loi, car les assistants parlementaires demeuraient silencieusement loyaux envers leur employeur, nous en savions peu sur l'exécution de la justice, car le secret professionnel laissait peu de place aux magistrats, avocats, experts, pour en partager les éléments quotidiens. Et je trouvais évidemment que la politique locale semblait beaucoup trop distante et silencieuse pour mes concitoyens, sachant par ailleurs l’impact qu’elle pouvait avoir sur leurs vies. Certes, de talentueux journalistes, tels que Pascale Robert-Diard ou encore Stéphane Durand-Souffland nous plongeaient dans leurs chroniques judiciaires, et de chanceux autres avec de bons réseaux recueillaient des “off” nous ouvrant parfois une fenêtre sur des mondes qui restaient par ailleurs étrangement obscurs.

Ce fut une chance incroyable que de voir l'émergence des blogueurs tels que Authueil, Maitre Eolas, Zythom, et tant d’autres, briser ce silence trop longtemps imposé à leur fonction. Connaître la vie des autres constitue une étape importante dans la construction d’une société empathique, et j’avais très tôt l’impression qu’ils facilitaient la compréhension des difficultés liées à l’exercice de leurs métiers dont nos concitoyens pouvaient auparavant questionner l'utilité ou la sincérité. Au risque de me faire qualifier d'idéaliste, je crois que l'amélioration de la communication permettant une reconnaissance de ce que vivent nos concitoyens est le ciment nécessaire à toute collectivité et notre dernière chance face aux extrémismes.

Parmi ces blogueurs, ces non-choisis de la communication publique, qui avaient décidé de mettre en lumière les ombres de notre système, certains sont allés plus loin que d'autres, en portant la parole, et surtout les histoires de ceux qui ont moins que rien. Certes, on a pu lire par le passé, de très grands écrivains nous offrir les histoires de misérables, mais celui auquel je souhaite rendre hommage aujourd'hui nous offrait les horribles histoires de ceux que nous qualifierions trop rapidement de monstres.

Maître Mô, non seulement nous ouvrait une fenêtre sur la vie, la souffrance de ceux qui avaient peu ou rien, mais surtout, sa lecture nous rappelait, et nous rappellera toujours, constamment les héros et les horreurs qui se cachent sous les visages des autres… humains.

Tu nous manqueras terriblement, Mô.

Après un si long silence, j'aurais tellement voulu pour un billet de retour, que mes mots rient.